Interview de Barbara CANEPA made in Chef de soupe…
Cette entrevue est née d’un rapprochement entre l’éditeur Soleil et l’Association des Librairies Spécialisées Jeunesse. Autant le dire tout de suite, avant c’était un peu compliqué entre Soleil et nous. Mais parfois, il suffit d’une rencontre pour que les choses s’arrangent. Et c’est ce qui a eu lieu récemment, autour de la collection (bien nommée en la circonstance!): Métamorphose. À La Soupe de L’Espace, nous affectionnons particulièrement, et pour diverses raisons, cette collection. Afin de sceller le rapprochement des Sorcières avec son éditeur, j’ai rencontré la très étonnante Barbara Canepa, aux multiples talents et aux très nombreuses occupations. Auteure et illustratrice (rappelez-vous des séries Sky Doll et Monster Allergy), éditrice et directrice de collection (poste qu’elle partage avec Clotilde Vu): Barbara défie tous les jours les lois du temps, et a réussi à le ralentir un peu pendant la durée de notre entrevue…
JEAN PICHINOTY: Comme tu le sais, nous avons toujours été de grands admirateurs de l’illustration, sous toutes ses formes. Aussi ta démarche qui donne vie à de grands rêves d’illustrateurs, nous touche particulièrement. Elle laisse libre cours à leur imagination, et permet à leur art de s’exprimer à travers ce merveilleux média qu’est le livre. Raconte-nous un peu comment est née la collection Métamorphose…
BARBARA CANEPA: Le moteur qui m’a incitée à créer cette collection a été principalement la curiosité que j’ai pour toutes les choses étranges et inexplicables de la vie, l’amour de la culture anglo-saxonne, ainsi que le sentiment d’être orpheline d’une certaine thématique en littérature BD et jeunesse. L’esthétique visuelle de la collection est très liée à l’esthétique romantique et victorienne que j’affectionne. Métamorphose est un monde caché où il est permis à tout un chacun de redevenir enfant. Se perdre dans des mondes dangereux et inconnus, et pour toujours en sortir indemnes. Il n’y a pas de danger dans les livres en général et dans ceux de la collection Métamorphose en particulier. Mais, oui, un univers un peu antique, ancestral, métaphysique et fantastique. Un monde où l’on peut rêver, où l’on peut retomber en enfance. C’est pour cela que j’ai choisi comme symbole de la collection cet incroyable et superbe mot: «Métamorphose». Un mot parfait, qui ne représente rien d’autre que nous-mêmes en tant qu’êtres vivants, en ce qui concerne notre transformation personnelle, intellectuelle et naturelle, même après notre propre mort.
Tes passions sont entières et multiples, tes activités nombreuses… Comment réussis-tu à organiser ton travail de directrice de collection?
Mon organisation n’est pas des plus aisée, je suis dispersée mais tellement passionnée que rien d’autre n’importe et que peu de choses m’effraient dans cette profession. Donc, lorsque je me mets au travail, je ne pense jamais à tout ce que je dois faire. J’ai la chance d’avoir une mémoire sélective. Un peu comme si mon cerveau fonctionnait avec un système de tiroirs multiples. J’ouvre seulement ceux qui me sont utiles et je laisse les autres fermés, voilà tout! Et puis je collabore avec des collègues et des amis qui me soutiennent pendant les périodes difficiles. Mais je dois dire que c’est un lourd tribut et qu’il faut être particulièrement motivée pour en venir à bout. Il faut également être soutenu par un éditeur qui y croit et qui mouille sa chemise.
S’il y a bien une chose qui nous touche dans tous ces livres, c’est l’honnêteté avec laquelle certaines «problématiques» de l’enfance et de l’adolescence sont abordées. Cette démarche est discutée en concertation avec les auteurs, ou bien est-ce décidé au moment de la création du livre, en amont du projet, à un niveau plus éditorial? Plus généralement, peux-tu nous dire comment naît un livre de la collection Métamorphose?
Les idées peuvent venir de Clotilde Vu ou de moi-même, ou alors directement des auteurs avec lesquels nous travaillons. Dans tous les cas, il y a toujours une collaboration aussi bien éditoriale (entre nous-mêmes) qu’au niveau des auteurs… En ce qui concerne la maquette et la fabrication du livre, je suis plus dans la partie spécifique de l’objet, car je suis illustratrice de formation et je possède des bases de graphisme. Et Clotilde s’occupe davantage de la narration, étant de formation journalistique. Ceci étant, nous nous «mélangeons» souvent de manière aussi surprenante qu’inattendue. Chaque livre est «nôtre» en fait. Unique pour chacune d’entre nous par rapport à notre propre expérience… Si j’ai de bonnes idées, je cherche l’auteur «juste» pour réaliser le livre. Il m’est arrivé il y a peu, par exemple, de proposer une thématique, (sur les Yôkai japonais) à une très jeune et talentueuse artiste. Concernant Daisies de Claire Wendling, c’est Clotilde qui a eu l’idée et qui a monté le projet. Dans le cas de Benjamin Lacombe, en revanche, c’est lui qui nous a directement proposé Les Contes macabres de E.A Poe, ou son deuxième livre Notre-Dame de Victor Hugo (à paraître en octobre 2011). En revanche pour son troisième opus, (qui sera, je le crois, le plus complexe et le plus difficile), c’est grâce à une suggestion susurrée à l’oreille par un certain Guillaume Bianco (qui par ailleurs connaît très bien Benjamin), que j’ai pu lui proposer de réaliser une version toute sienne de Marie-Antoinette pour la fin de l’année 2012…
Quels sont les autres titres qui auront la chance de voir le jour bientôt chez Métamorphose?
Il y en aura beaucoup d’autres, dont ceux de Benjamin Lacombe comme je le disais précédemment. Une partie de la collection est déjà devenue une sous-collection au sein du catalogue. Pas uniquement par choix de la thématique, mais par une plus grande pagination (deux cents pages au moins), un vrai rapport texte/image (comme les livres illustrés) tel que tu peux le voir dans Alice ou Contes Macabres… Cela a été un vrai choix éditorial. Je peux donc vous annoncer la sortie prochaine de Notre-Dame de Paris, dans le même format (avec cette fois-ci plus de cinq cents pages), et de nombreuses surprises, comme par exemple, des recueils de fables. En novembre prochain aura lieu la sortie tant attendue de mon prochain projet: End. Un livre auquel j’ai travaillé pendant plus de quatre ans tout en menant de front ma série Sky Doll ainsi que deux collections… Ce livre-ci sera un résumé, une synthèse métaphorique de tout le sens de la collection Métamorphose et de qui je suis véritablement. Cela parle de la mort, de la peur, et de la solitude. J’espère que cela vous plaira. Je croise les doigts.
Je n’en doute pas une seule seconde Barbara! J’imagine que tous les projets portés jusqu’à présent l’ont été avec toute la passion et l’énergie qui te caractérisent, mais il y a-t-il des histoires qui te tiennent particulièrement à cœur et qui n’ont pas encore vu le jour?
Je confie petit à petit toutes mes «histoires orphelines» à d’autres, et suis toujours prête et ouverte pour écouter les passions et les envies d’autrui, car j’ai souvent eu de magnifiques surprises (comme Yaxin le Faune Gabriel de D.Vey et Manuel Arenas). Mais je dois bien vous avouer que j’ai encore de nombreuses idées et envies pour lesquelles je n’ai pas encore trouvé les personnes adéquates à qui les confier. Il doit s’agir en effet de vraies fusions et de véritables mariages d’amour. Il doit s’agir d’un véritable feeling entre l’auteur et la thématique, autrement le livre «sonnerait faux». Il serait vide et stéréotypé. J’ai par ailleurs une affection particulière pour les écrits des femmes de la fin du XIXe siècle, surtout concernant les histoires d’épouvante: nous possédons une littérature féminine énorme qui a été sciemment mise de côté durant de longues années et qu’il serait grand temps de remettre aujourd’hui en lumière; un exemple: la nouvelle the Yellow Wallpaper de Charlotte Perkins Gilman. Je suis également une inconditionnelle de culture orientale et de certaines croyances (comme celle des incroyables yôkai japonais), et j’adore Guy de Maupassant, dont je rêve d’adapter certaines nouvelles… Ou encore certaines fables italiennes de la période futuriste (un courant moderne de l’art, né en Italie au début du XIXe siècle, qui embrassait l’art en général, la musique et la poésie), et pour finir, les fables d’Italo Calvino. En somme, de nombreuses idées et envies, il ne reste qu’à trouver les esprits justes pour réinterpréter ces incroyables univers. Mais nous avons le temps…
Un grand merci Barbara! On te souhaite beaucoup de succès pour les titres à venir, et tu pourras compter sur nous pour y apporter notre contribution…
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2 commentaires
chouette cet article !
[…] « Le moteur qui m’a incitée à créer cette collection a été principalement la curiosité que j’ai pour toutes les choses étranges et inexplicables de la vie, l’amour de la culture anglo-saxonne, ainsi que le sentiment d’être orpheline d’une certaine thématique en littérature BD et jeunesse. Métamorphose est un monde caché où il est permis à tout un chacun de redevenir enfant. C’est pour cela que j’ai choisi comme symbole de la collection cet incroyable et superbe mot « Métamorphose ». Un mot parfait, qui ne représente rien d’autre que nous-mêmes en tant qu’êtres vivants, en ce qui concerne notre transformation personnelle, intellectuelle et naturelle, même après notre propre mort ». […]