« Tenir jusqu’à l’aube », c’est la promesse tenue de belles retrouvailles avec l’écriture d’une auteure que l’on aime énormément. C’est un roman fort, très fort, qui se lit comme une urgence, avec l’appétit féroce des jours de frigo rempli après une longue période de disette. C’est une empathie extraordinaire envers des personnes bien plus complexes qu’elles ne le paraissent. C’est la voix au chapitre de celles et ceux que l’on ne voit pas. Du moins pas vraiment. C’est beau, parce que c’est courageux, parce que ça regarde les choses en face, sans pathos ni condescendance. Parce que Carole dit avec une classe folle les choses qu’on n’aime pas dire, mais qu’il faut entendre.
« Tenir jusqu’à l’aube », ce sont les quelques mois de la vie d’une jeune mère célibataire, graphiste à son compte, qui s’occupe de son tout petit garçon. Une vie remplie de galères en tous genres, une précarité galopante. La sensation que les choses et le monde lui échappent, à petit feu, parfois à gros bouillons. Alors, pour supporter l’insupportable, elle s’octroie de sortir le soir lorsque le petit dort enfin. Elle s’échappe de leur appartement, arpente les rues, va parfois boire un verre, prend de plus en plus de risques en sortant de plus en plus loin, de plus en plus longtemps.
On la suit, de jour et de (courtes) nuits, courir après un boulot qui se fait de plus en plus rare, après une vie sociale réduite à ce que le petit lui autorise. On la voit se débattre, essayer de survivre, de jongler, de s’en sortir. Parfois seule, parfois virtuellement accompagnée, souvent en prise avec une réalité froide, implacable et brutale, qui nous pousse gentiment vers la sortie si on a le malheur de ralentir la machine.
On sort un peu transi de colère envers ce destin qui s’acharne, envers ces situations inextricables, envers cette solitude qui n’est pas vendeuse et qui nous ronge de l’intérieur, envers ces nuits interminables. Mais pas que. On sent également cet irréductible espoir qui nous fait tenir, qui nous donne envie de trouver du plaisir, qui donne un sens à ce que l’on fait. Qui nous fait tenir, au moins jusqu’à l’aube.
C’est un roman d’un immense courage, celui qui nous montre sans culpabilité ni reproches, avec intelligence et une précision chirurgicale absolument tout ce que la vie fait de nous, quand on ne peut plus rien faire d’autre que la subir. Dévoiler l’indicible, parler des choses avec acuité, apporter un regard lucide et réel sur nos individualismes d’aujourd’hui, Carole le fait à merveille, et on peut lui en être ardemment reconnaissant.