Être libraire, c’est bien. Non seulement on reçoit les livres avant tout le monde, avec la joie de la -presque- exclusivité et celle du lecteur qui attend une sortie avec impatience et qui se trouve enfin satisfait. Et puis, aussi, on rencontre des auteurs, en chair et en os, et on en aime que davantage leurs écrits.
Pete Fromm rentre dans tous ces critères. Mon impatience de son nouveau roman et le plaisir que j’ai eu à le rencontrer, grâce à son éditeur, dans un bar aixois, entouré d’une dizaine d’autres libraires avides de lecture.
Il nous a raconté le point de départ de son roman et ça m’a fait verser une larme, toute debout au milieu des autres que j’étais, mon verre d’eau gazeuse à la main. J’ai eu la chance de discuter avec lui, et ça n’en a que renforcé ma hâte de dévorer son roman. L’auteur est généreux, curieux, intéressant. Comme ses livres.
La genèse de La Vie en chantier, c’est un de ses amis qui lui montre un jour dans le journal un fait divers, en lui disant : ça ferait un bon livre, cette histoire, non ? Comme le début du roman, l’article raconte l’histoire d’un couple. Pete Fromm a imaginé Taz et Marnie, ils sont jeunes, ils s’aiment comme des fous, ils ont acheté une maison dans un état lamentable mais c’était la seule qu’ils pouvaient s’offrir. Le prix à payer pour vivre dans le sublime état du Montana, le prix à payer pour aller se baigner nus dans la rivière, entourés d’une nature incroyable, coupés du monde. Ils galèrent, un ou deux ans passent, et Marnie tombe enceinte. Ils se dépêchent alors : la maison (ou au moins la nursery) doit être finie avant la naissance.
Marnie perd les eaux. Marnie meurt en couches.
L’article s’arrête ici, au père, sortant seul de l’hôpital son enfant dans les bras.
Pete Fromm approuve : oui, ça ferait une bonne histoire, mais ça, ça n’en sera que le début.
La vraie histoire, c’est celle du père qui élève cette petite fille perdu dans le tourbillon du deuil et plus encore celui de la paternité, ce père qui survit et meurt en même temps à petit feu, mais surtout ce père qui est loin d’être seul. Son meilleur ami Rudy, impertinent, fait le guet sans relâche sur le porche de la maison, sa belle-mère, Lauren, débarque avec des courses et cuisine encore et encore pour que personne n’oublie de manger, et Elmo, la baby-sitter-muppet, donne sa vie pour la petite Midge.
C’est tellement fort et beau (comme l’étaient ses précédents livres) que mon cœur a menacé d’exploser à chaque page, chaque phrase, tiraillé comme Taz entre le désespoir et l’amour, entre le passé et l’avenir.
Pete Fromm est d’une justesse incroyable, parle d’une foule de choses simples et essentielles sans en avoir l’air, parle de la vie comme on le fait peu, et des femmes avec une lucidité comme on le fait encore moins, chez les auteurs de sexe masculin en tout cas. Il malmène son personnage principal, le confronte et le met face à ses erreurs, le console et le cajole quand il en a besoin. Tout cela est d’ailleurs merveilleusement traduit de l’américain par Juliane Nivelt.
La vie en chantier est un shot de vie. Et mon premier coup de cœur de cette rentrée, vous l’aurez sans doute compris.
Parution le 6 septembre 2019.
1 commentaire
Comme c’est loin septembre ! Merci pour cet article…