C’est pas tous les jours qu’une maison d’édition voit le jour et séduise aussitôt la critique, les libraires et les lecteurs. C’est pourtant ce qui s’est passé avec la toute jeune maison Agullo, qui depuis quelques mois développe un catalogue qui frise la perfection avec des textes forts venus du monde entier. Leur ligne éditoriale est d’ailleurs très claire:
ABOLIR LES FRONTIERES
Agullo Éditions est le porte voix d’auteurs d’ici et d’ailleurs qui expriment et partagent leurs histoires, leur culture, leurs joies, leurs espoirs et par dessus tout, leur humanité.
Abolir les frontières, voilà un programme qui me plait! Et c’est clairement ce qui se passe dans les deux livres que j’ai dévorés: Le Fleuve des brumes, un polar italien époustouflant, et La Destinée, la mort et moi, un récit fantastique et fantasque dont on se régale.
Dans Le Fleuve des brumes, ce sont toutes les frontières physiques qui tombent, le monde est enveloppé dans un flou cotonneux, plein de mystère et parfois de menace, dans lequel les contours disparaissent et les personnalités deviennent insaisissables. C’est dans ce contexte où même le fleuve ne reste pas dans son lit que le commissaire Soneri doit enquêter sur la disparition d’un vieux batelier, puis sur la défenestration de son frère quelques heures plus tard. Il comprend vite que ces évènements sont liés au passé fasciste des deux frères, mais face au passé, les témoins oublient et les bouches se ferment… Paradoxe étonnant pour ce polar qui rappelle les films noirs des années 30, alors qu’il est plein de silences, de conversations interrompues et d’ombres fuyantes, Valerio Varesi maintient tout du long une tension extraordinaire, complètement bluffante et nous transporte dans son univers avec une aisance dont on a du mal à se remettre.
S.G. Browne aussi nous entraîne avec facilité dans son univers, mais sur un ton plus bavard, plus léger, tout en étant constamment emprunt d’ironie. Si vous avez vu et aimé le film Dogma dans lequel deux anges déchus incarnés par Matt Damon et Ben Affleck tentent de remonter au ciel, alors La Destinée, la Mort et moi, comment j’ai conjuré le Sort est un roman pour vous! Le héros de ce livre est nul autre que le Sort (son petit nom c’est Sergio), celui qui s’occupe de ce que vont devenir la plupart des humains : c’est à dire des êtres médiocres, si ce n’est des ratés. Vous vous doutez, il n’est pas très heureux dans son travail et envie celui de Destinée, qui elle prend en charge ceux à qui un destin exceptionnel est promis, c’est bien plus gratifiant. On apprend ainsi que la vie des humains est régie par ces entités, qui incarnent des sentiments, des émotions ou des façons d’être. Pour eux, la règle numéro 1 c’est « Pas d’ingérence ». Alors quand Sergio tombe amoureux de sa voisine, simple (mais néanmoins extraordinaire) humaine, il sait très bien qu’il court droit à la catastrophe… Humour noir et cynisme sont au rendez-vous dans ce roman irrévérencieux envers (presque) tout ce à quoi les humains donnent de l’importance et surtout envers ce que l’on nomme communément le sort ou le destin et auquel on se résigne bien trop souvent…
Deux livres, deux univers, et le reste du catalogue est à cette image. Agullo nous réserve encore bien des découvertes, que nous avons hâte de partager avec vous!