Je ne vais pas tourner autour du pot, je ne peux plus encadrer certaines pratiques commerciales. Je devrais la fermer, faire le dos rond et mon taff de libraire, ouvrir mes cartons, afficher mon plus beau sourire et vendre mes bouquins, mais là j’en peux plus. Ras-le-bonnet. Je me dois de vous (ré)expliquer ce qu’il est d’usage d’appeler dans la profession un « office sauvage ».
Alors kècecé ? Le bureau d’un personnel administratif disposé dans un habitat naturel, livré à la merci des animaux et du climat ? Non, en fait c’est beaucoup plus simple : c’est une pratique qui consiste à envoyer à un client une marchandise qu’il n’a pas demandée, et de lui facturer sans évidemment lui demander son avis. Alors les plus blasés et aguerris d’entre vous me diront : « Mais enfin Jeaaaaaan, tu sais bien que c’est comme ça, qu’on y peut rien. On peut pas lutter contre ces mastodontes, fais-toi enfin une raison ». Libre à vous d’accepter ça, moi je m’y refuse. D’autant que c’est loin d’être la première fois.
Là, comment vous dire… ils y sont pas allés avec le dos de la cuillère. ça a commencé il y a 2 semaines : on a reçu 12 exemplaires du dernier roman en poche de Guillaume Musso, « la jeune fille et la nuit ». 12 exemplaires que nous n’avons JAMAIS COMMANDES.
Ensuite, nous avons reçu par la poste ce qu’on appelle un service de presse, du prochain roman de toujours Guillaume Musso, « La vie secrète des écrivains » à paraitre dans quelques jours chez Calmann-Levy . En gros, c’est un exemplaire destiné au libraire, ou au journaliste, pour qu’il.elle puisse lire l’ouvrage un peu avant sa parution. Livre qu’en général il.elle sent bien et va s’engager à vendre et défendre. Sauf que là non plus on l’a jamais demandé. D’ailleurs, habituellement, c’est l’éditeur qui envoie les services de presse que l’on demande. Là, le pli nous a été envoyé par Hachette (le diffuseur/distributeur).
Aujourd’hui, ce sont 6 exemplaires en grand format de ce dernier titre qui sont sensés venir garnir les tables de nouveautés de notre librairie. 6 exemplaires que nous n’avons encore une fois jamais commandés, et qu’une direction commerciale indésirable s’est sentie obligée de nous fourguer.
Que l’on soit bien clairs : il ne s’agit EN AUCUN CAS d’une erreur humaine ou logistique, mais l’acte délibéré d’une entité commerciale (encore indéfinie) pour inonder des librairies avec un énième enjeu. S’il s’agit du diffuseur (celui qui en gros s’occupe de la commercialisation du livre), c’est pour rassurer l’éditeur et lui dire : « ne vous en faites pas, les mises en place du prochain Musso sont exceeeeptionnelles ! ». Si l’éditeur est au courant, cela fait de lui un complice.
En fait, dans la vraie vie, si on faisait ça, ça ressemblerait à un truc du genre : vous entrez dans une librairie pour flâner, vous regardez un peu ce qu’il se fait, et au moment de vous en aller le libraire vient vous voir, met des livres dans vos mains, et vous demande d’aller les payer.
C’est aussi simple et dingue que ça.
C’est ce qu’on appelle de la vente forcée, et évidemment, cela est puni par la Loi.
Alors cher Guillaume ne m’en veut pas, on n’a absolument rien contre toi et on t’embrasse bien fort, mais comprend qu’on n’ait pas très envie de participer à cet inévitable et merveilleux succès, au regard des pratiques commerciales qui l’entourent. Tu n’y es strictement pour rien, mais il nous paraissait utile de te prévenir de ce qui se fait dans ton dos.
Et petite note à la Direction Commerciale d’Hachette : Vous vous en doutez, mais le Syndicat de la librairie française vient bien évidemment d’être saisi de ce fâcheux événement, ainsi que le Syndicat National de l’Edition, et la DGCCRF.