Alice grandit dans une famille où toute dépense se calcule, où tout est toujours « tout juste ». Adulte, elle élève seule un jeune garçon : Achille. Depuis toujours elle travaille dans le même magasin de chaussures tenu par madame Moretti. Lorsque le magasin ferme, elle se retrouve dans ce que l’on pourrait nommer une grosse galère financière. Elle enchaîne les boulots difficiles, épuisée, la faim au ventre, elle décide d’enlever un enfant de riche et demander une grosse rançon. Manque de pot, son plan ne tourne pas comme prévu. C’est dans un grand quiproquo qu’elle fait la connaissance de Tom Peterman, écrivain pas tout à fait raté, produisant des histoires « bizarres » qui ne se vendent pas hyper bien. Grâce à un fidèle éditeur (Yves Lacoste des éditions « L’arbre pâle ») il s’accroche à sa carrière littéraire tout en cumulant beaucoup de boulots alimentaires et ingrats, des ateliers d’écritures et de multiples tâches rédactionnelles. Il garde tout de même le feu sacré ou la petite étincelle de la création littéraire (selon les moments).
La rencontre de Tom et Alice donnera lieu à un « braquage culturel » sans violence, sans armes (et non sans précédent). Leur but est de récolter un maximum d’argent en écrivant un roman style « Feel good » pour se mettre à l’abri du besoin et sortir la tête de l’eau.
Mais pourquoi donc ce roman est à lire absolument ?
Tout d’abord parce que les personnages ont la rage de vivre. Leurs situations ne les préservent pas, ils n’ont pas peur du changement. Alice, à sa manière, est une vraie badass : courageuse, lucide, déterminée. Tom, malgré sa vie fade, son désespoir latent et son angoisse foudroyante, possède une belle intelligence de cœur. Thomas Gunzig les pare d’une épaisseur intellectuelle et charnelle. Sa galerie de personnages secondaires est un formidable contre-point à ces deux héros. Décrivant la machinerie médiatique avec un humour noir et âcre tel qu’on lui connaît, il réussit à reprendre cette bonne vieille notion de classes sociales qui n’échappe pas au monde de l’édition.
Le roman ne prétend pas répondre de façon absolue aux questions suivantes, il les met juste brillamment et finement en scène : Écrit-on pour un lecteur-trice ? Sous qu’elle forme ? Avec quels ingrédients ? Que ressent un-e romancier-e en plein travail d’écriture ? Comment peut-on imaginer un « coup littéraire », du côté des auteurs, afin de s’extirper d’une situation de précarité totale ?
La structure narrative de ce roman est à la fois ample et très bien ficelée. On est pris dans une écriture vive, rythmée, parfois dédoublée en alternant le point de vue de Tom ou de Alice sur une même situation. On se marre et surtout Thomas Gunzig est un vrai raconteur d’histoires. Ses métaphores déroutantes et très imagées m’ont beaucoup étonné et vraiment fait rire. « Il nous impressionne par son acuité sociale, entre réalisme et satire contemporaine » pour reprendre une formule de la plaquette de présentation de l’éditeur. Oui, c’est vrai. Et je rajouterai un roman dont il nous reste, après sa lecture, un sentiment de revanche de classe bien mérité, un pied de nez magistral aux phénomènes littéraires et après avoir suivi les personnages franchissant bien des épreuves, une douceur de vivre… Un peu comme un feel-good du pauvre qui ne se laissera jamais abattre !
A lire donc, à découvrir et à partager.
Si comme moi vous appréciez cet auteur, je vous conseille également son précédent roman, lui aussi réussi et désormais en format poche « La vie sauvage ».
Feel good – Thomas Gunzig – édition Au diable Vauvert – Parution le 22 Août
Chronique par Claire, croûton spatial temporaire