Quel bel ouvrage que celui-ci! Ou devrais-je dire quel beau diptyque, car avec Ah! Ernesto écrit par la très grande Marguerite Duras, l’éditeur Thierry Magnier, à l’occasion du centenaire de la naissance de l’auteure, publie parallèlement le titre Ah! Duras qui permet d’en apprendre davantage sur la seule œuvre de jeunesse de Duras : Ah!Ernesto!
Le texte de Marguerite Duras est bouleversant tant il paraît parler d’aujourd’hui alors qu’il a été publié en 1971! En effet Ah! Ernesto paraît d’abord aux éditions Harlin Quist conjointement dirigées par Harlin Quist et François Ruy-Vidal, et est illustré par Bernard Bonhomme. Cette maison d’édition fait figure de pionnier dans le paysage éditorial jeunesse de l’époque en raison de sa volonté de briser les tabous sociaux et de s’affranchir des codes de la littérature conventionnelle et/ou éducative d’après-guerre.
Je m’arrête là sur la genèse du livre car c’est tout l’intérêt de se plonger dans le livre documentaire Ah!Duras pour connaître les secrets de fabrication d’ Ah! Ernesto !
En revanche je ne résiste pas à vous montrer la couverture de Ah!Ernesto paru chez Harlin Quist et illustré par Pierre Bonhomme.
L’histoire? Celle d’Ernesto, un petit garçon qui revient de sa première journée d’école en disant à ses parents: « Je ne retournerai plus à l’école ». Et quand on lui demande pourquoi il répond: « Parce que!… A l’école on m’apprend des choses que je ne sais pas. »
S’en suit un face à face entre Ernesto, ses parents et le maître d’école. Une confrontation au combien éloquente sur la remise en question de l’éducation, de l’enseignement tels qu’ils étaient mis en œuvres jusque là.
« Le maître ne se contient plus. Il crie:
-L’instruction est obligatoire.
-Pas partout, dit Ernesto.
-On est ici, crie plus fortement le maître. On est ici. On est ici et on n’est pas partout.
-Moi si, dit Ernesto. »
[…]
Le maître poursuit son raisonnement:
-J’ai posé une question il me semble: que savez-vous, enfant?…
Ernesto, cette fois ne se fait pas prier pour répondre:
-Non, je sais dire Non et c’est bien suffisant. »
Abasourdis, consternés, effrayés, en colère les adultes restent sans réponse face à Ernesto tant cela vient heurter leur croyances!
C’est ainsi que le texte de Marguerite Duras est manifeste dont le message est toujours d’une grande actualité: savoir dire non, être libre de penser par soi-même et de considérer que le savoir n’est pas forcément dicté par l’ordre établi, consensuel, scolaire en l’occurrence.
Quant aux illustrations de Katy Couprie, (dois-je vous rappeler qu’elle est l’auteure de cette autre merveille primée en 2012 ?) elles sont magnifiques et participent véritablement à donner une seconde vie au texte de Marguerite Duras.
A la façon d’un petit cabinet de curiosités on retrouve dans l’illustration les fameux éléments de « connaissances » dont parle le maître et les parents d’Ernesto! Des images fortes aussi : un nounours dans le formol, comme une enfance étouffée qui veut s’affranchir d’un cadre trop étroit. Pour finir, je vous laisse avec un extrait des mots de Marguerite Duras (In La Passion suspendue. Entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre, éd du Seuil,2013,p 124):
« La folie d’Ernesto, dans un monde entièrement assujetti à la logique du consensus, réside dans cette liberté débordante, excessive, révolutionnaire dont il voudrait disposer. Dans son refus de toute valeur préétablie, dans sa volonté de détruire et de saboter le savoir-dans son cas le savoir scolaire-pour retrouver en lui l’innocence universelle. »
C’est une véritable merveille!