Et oui les amis 🙂 ça fait longtemps qu’on vous en parle, et vous avez rien vu arriver sur le blog ! Après avoir reçu 245 mails d’insultes pour ce cruel retard (bon ok, j’exagère un peu), je me décide à vous livrer ce chouette moment passé en la compagnie d’un chouette monsieur. Un grand merci à notre copine Sandrine (qu’on embrasse bien fort au passage), sans qui ça n’aurait jamais pu arriver. Je vous passe les détails du trajet pour aller à sa rencontre, mais si vous le souhaitez, je vous raconterai mes trépidantes aventures lors du retour (ou comment j’ai eu l’impression d’être au cœur de Lost Highway de David Lynch, à 3 heures du matin au bord de l’autoroute…). Ah, et pour info, l’interview sera retransmise dans le prochain numéro de Citrouille, qui sortira pour le prochain salon de Montreuil (un excellent numéro à venir, avec de très bons articles dedans). Bon, j’arrête mon blaba, et vous laisse cliquer ci-dessous pour lire la suite….
Bein voilà ! Je suis là pour t’interviewer à propos de la collection Bayou, chez Gallimard BD, pour la revue des librairies spécialisées jeunesse, Citrouille…
… que je connais très bien !
Pourrais-tu nous dire comment la collection est née ?
En fait, c’est mon titre de gloire : j’ai réussi à couler une maison d’édition ! J’avais créé une collection qui s’appelait Bréal Jeunesse, chez Bréal, dans laquelle je voulais mélanger des BD, des livres illustrés, des romans jeunesse – au sens large, car je ne voulais pas mettre de tranche d’âge et que les gens choisissent par eux-mêmes. Ça a été un tel pataquès qu’au bout de 2 ans on a plié boutique, mais on a quand même sorti de bons bouquins, puisque c’est là qu’on a sorti « Le manuel du puceau » de Riad Sattouf, et c’est là qu’est sorti « Monsieur Crocodile » pour la première fois.
Quand cette maison d’édition s’est cassée la gueule, les gens de Gallimard sont venus me chercher pour savoir si je voulais poursuivre l’aventure avec eux, mais en me concentrant sur les bandes dessinées, qui sont après tout mon domaine de compétence ! J’étais très heureux d’aller chez eux, puisque ça coïncidait avec mon départ de l’Association, et dès le début on s’est dit qu’on voulait proposer des bandes dessinées à un lectorat de littérature générale, c’est à dire pas forcément les lecteurs de BD alternatives ou autres, mais en se demandant si le lecteur d’Harry Potter ou de Roald Dahl peut se manger une grosse bd qui va aller sur des thèmes « grands publics » : cela peut donc être de la comédie, de la BD historique ou de la BD d’aventure, avec à chaque fois un regard d’auteur, avec des gens qui s’expriment par leur voix ; c’est d’ailleurs pour cela qu’on voulait que ça soit en couleur, accessible. L’autre envie était de créer une collection avec le plus possible de premiers livres : de découvrir des auteurs, ou de mettre ensemble des gens d’horizons bien différents. On se rend compte qu’il y a de nombreux auteurs qui ne viennent pas de la BD, mais de l’illustration, du théâtre, du cinéma, de toutes sortes de monde de l’animation, et ils trouvent dans la bande dessinée de nouveaux moyens pour raconter des histoires. Ça n’est pas en concurrence avec les autres collections, c’est d’ailleurs une collection assez égoïste puisqu’il s’agit de mes petits goûts à moi.
C’est comme ça que tu voies ton rôle de directeur de collection ?
Oui oui. Quand j’ai commencé à commencer à faire de la BD, j’étais vexé de voir que les auteurs « connus » ne connaissaient pas les jeunes auteurs. Je me disais « Merde, ils devraient s’y intéresser », et pourtant ils n’allaient pas en librairie, ils ne faisaient pas l’effort de les découvrir. Et mon travail d’éditeur m’a permis de recevoir des quantités incroyables de projets de jeunes auteurs, on finit donc fatalement par connaître tout le monde ! ça permet de rester en contact avec une création vivante, et je dois dire qu’en tant que dessinateur, égoïstement, ça me pousse au cul ! Parce que quand je vois qu’ils sont aussi bons, aussi talentueux, ça finit par créer une émulation.
Il faut dire aussi que cela mène à des discussions toujours très intéressantes, et même si je m’aperçois souvent qu’ils n’ont pas besoin de moi pour développer leurs projets, cela peut parfois mener à des issues très intéressantes. Une de nos interventions les plus fameuses (je dis nous car nous sommes deux, avec Thierry Laroche, à nous occuper de cette collection) a été quand Clément Oubrerie et Marguerite Abouët sont venus nous voir avec « Aya ». Au début c’était l’histoire d’une petite fille, Akissi, qui vient de sortir chez Gallimard. Et moi, j’aimais tellement comment Clément dessinait les filles, que je lui ai demandé : « mais pourquoi tu ne dessines pas des histoires de grands ? ». Ils ont alors changé leur fusil d’épaule, et c’est devenu Aya. Aujourd’hui, ils reviennent avec Akissi, qui raconte le projet tel qu’il existait au tout début de l’aventure.
Je trouve ça chouette. Il y a tellement d’éditeurs qui se sont bien occupés de moi, chez Dargaud, chez Gallimard, chez Delcourt (…), je suis très content si je peux à mon tour aider de jeunes auteurs. En même temps je fais ça assez humblement, parce que c’est eux qui font tout !
Déjà il y a une magie… dans le nom : Gallimard. Quand on travaille pour Gallimard, c’est pas pareil, tu dessines pas pareil, parce que t’es impressionné. C’est tout bête, mais c’est vrai, tu te disciplines encore plus…
Je ne crois pas à l’idée de diriger un auteur, de même que je ne crois pas à l’idée de diriger un comédien. En revanche, choisir uniquement des gens avec qui on a envie de travailler c’est important. Ça ne veut pas dire qu’ils sont plus forts que les autres, mais c’est que parce qu’on les aime, on saura les défendre. Il y a sans doute beaucoup de projets formidables que je ne prends pas, parce qu’ils sont moins dans mon monde, donc je sais que je ne rendrai peut-être pas service à l’auteur en le prenant, parce que je ne le défendrai pas au mieux.
Nous ne sommes pas obligés de sortir beaucoup de livres, alors quand on en sort un, c’est qu’il nous plait ! On n’est pas non plus obligés de faire des séries, alors on peut boucler des histoires en seul volume.
On n’est pas non plus obligés de vendre beaucoup. Chez Bayou, il y a des titres qui sont de très grosses ventes, et d’autres qui sont beaucoup plus modestes. On les défend néanmoins tous de la même façon, et surtout, on ne cessera aucune relation sous des prétextes économiques. Ce qui nous intéresse, c’est qu’il y ait une vraie cohérence dans le discours d’un auteur, et que cela se voit, d’un livre à l’autre.
C’est passionnant de suivre des auteurs comme Lucie Durbiano, qui en est à son 4ème livre chez nous, ou Florence Dupré la Tour. Nous ne l’avons évidemment pas fait exprès, mais nous avons presque une vraie parité dans les auteurs présents chez Gallimard. Elles ont toujours quelque chose à raconter, et on est toujours surpris par ce qu’elles ont à nous dire. On est peut-être surpris parce qu’on a surement moins lu des livres écris par des filles.
C’est que le monde de la bande dessinée est aussi en train de changer depuis quelques années !
Voilà ! Et peut-être aussi qu’il y a maintenant plus de lectrices, et on est souvent représentatifs des gens qui nous lisent. Je suis toujours très heureux d’aller à une dédicace de Bayou, parce qu’on ne peut pas en reconnaître le lecteur. Il se confond beaucoup avec la littérature générale. On voit avec les chiffres, que nos livres se défendent aussi bien en librairie générale qu’en librairie BD. Et ça pour moi, ça veut dire que c’est gagné. Le rayon BD c’est évidemment pour nous central. Mais de voir aussi que le livre a existé en rayon jeunesse ou en littérature générale. Quand j’entre dans une grande enseigne, et que je vois que je vois la BD de Pénélope Bagieu à côté d’Anna Gavalda, je suis content. On se dit que l’objet est accepté, non pas comme une BD, mais comme un moment de lecture.
C’est ce qui plait beaucoup dans la collection. On ne lit pas une BD de chez Bayou en 4ème vitesse, comme on pourrait le faire avec d’autres. Et un tel format exige de l’auteur une vraie générosité, pour nous livrer des albums avec autant de volume ! En ce qui me concerne, c’est pour ça que j’aime aussi une autre collection, « Fétiche », qui permet de découvrir de manière totalement décalée de grands auteurs, de réinventer de manière très personnelle un fonds de la littérature jeunesse qui est des plus précieux.
Bien sur ! C’est tout le paradoxe de la bande dessinée chez Gallimard : elle arrive à se faire apprécier d’un grand public tout en s’adossant à une tradition littéraire légendaire. C’est aussi pour ça qu’on n’a pas voulu commencer par des formats standards. Mais il est tout à fait possible d’envisager de voir sortir chez Gallimard des BD au format 46PC (pages couleur), pour montrer qu’on SAIT aussi en faire. Je trouve intéressant de développer l’ADN d’une collection. Ça revient à se demander par exemple qu’est-ce qui a fait que chez Dargaud la collection « Poisson pilote » est devenu quelque chose de mythique. Chaque Poisson pilote était attendu, et certains lecteurs de BD leur faisaient tellement confiance, qu’ils achetaient TOUT ce qui venait de la collection. J’ai l’impression que c’est encore le cas chez Bayou, et que les gens se le disent le plus souvent possible, et que même s’ils ne l’achètent pas ils le feuillettent.
Dans cet esprit là, j’ai envie de faire de la 46PC chez Gallimard. On va commencer avec Pénélope Bagieu une série tous les deux – c’est moi qui écrit et c’est elle qui dessine. On commence le projet l’an prochain. Et on a envie de faire ça à notre façon. Faudra pas me demander si ça sera pour les grands ou les petits : ça sera lisible par tous. On le fait avec beaucoup de liberté, chez un éditeur qui n’a pourtant pas cette tradition. Imagine que chez Dupuis, qui est un éditeur formidable, j’ai envie de faire ça : il y a 50 ans de tradition de 46PC chez Dupuis, on peut pas travailler là sans s’y référer. Tandis que démarrer chez Gallimard là-dedans, autant dire qu’on est dans un désert ! Et c’est très amusant de me dire que chez Gallimard, mes co-auteurs s’appellent Roald Dahl ! Et le fait de travailler avec des gens aussi différents, à tous les stades de la conception de la BD, avec des gens qui viennent parfois de la jeunesse, et qui ont des profils complètement différents, c’est très enrichissant ! Ils ont parfois beaucoup d’exigence, dans le graphisme, ou même simplement dans la manière dont on va poser les lettres, ou encore dans la manière dont on va scanner les noirs… Plus j’avance dans cette voie, plus je m’aperçois que l’éditeur est important ! Quand j’étais petit, j’étais persuadé qu’il n’y avait que le lecteur est l’auteur. Pour moi l’éditeur c’était juste un véhicule. J’imagine que pour toi aussi ça se passe comme ça dans la relation avec le libraire : je suis sur qu’il y a des livres qui sont meilleurs quand on les a acheté chez tel libraire, parce qu’il y a une relation qui se crée.
Je ne sais pas, en tous cas je n’en ai pas la prétention.
Oui, mais tu peux dire quelque chose comme : « Tu hésites ? Prends-le, et ramène le moi si tu ne l’aimes pas ! ». C’est con, mais grâce à ça je suis sur que tu vends 300 bouquins de plus chaque année.
(rires) Et les projets à venir chez Bayou, c’est quoi ?
Le prochain gros morceau à venir, c’est le prochain Aya. Il y a aussi un livre écrit par Loïc Sécheresse, qui avait fait la saga de Samouraï Raiju et Raiden, et que j’aime beaucoup, là il va produire quelque chose sur le moyen-âge, autour de Jeanne d’Arc, sauf que les chevaliers autour d’elle en ont un peu marre de trainer à côté d’une pucelle rabat-joie, et qui préfèreraient aller égorger tout le monde ! On continue aussi, et j’en suis particulièrement ravi, de travailler avec Bruno Heitz, après « j’ai pas tué De Gaulle mais j’ai bien failli ».
Ah oui ! Quelqu’un bourré de talent, et de gentillesse !
C’est quelqu’un de génial, c’est vraiment un grand monsieur. Bruno va donc continuer ça. De mon côté, je vais boucler Chagall, dont le prochain volume paraitra en janvier. J’essaie maintenant de faire des histoires qui se bouclent, pour éviter de me faire engueuler par mes lecteurs. Et j’ai très envie de développer le monde de l’Ancien Temps, paru l’année dernière en hors collection. Je l’ai dessiné pratiquement sous hypnose. J’étais complètement fracasse par le film de Gainsbourg, je dessinais sans savoir vraiment ce que je dessinais, et quand le livre est sorti, j’ai vu un livre de moi que je ne connaissais pas. C’est extrêmement bizarre ; je ne sais pas si je l’ai aimé ou pas, mais il a créé un mystère en moi, que j’ai envie de développer à partir de maintenant. Je vais partir avec plein de petits albums, avec moins de pages, mais qui paraitront plus souvent. Je me suis mis aussi à écrire des romans, qui se déroulent dans le monde de l’Ancien Temps. Ce ne sont pas des romans au sens prétentieux, mais il y a plein de petites histoires, que je n’ai pas toujours le temps de dessiner. Ça sera plutôt des romans comme celui de mon copain Mathias Malzieu qui a écrit « La mécanique du cœur ». Je m’aperçois que j’ai envie d’écrire aussi des histoires sans images, pour voir si les gens me suivent encore.
Ça fait beaucoup de projets mais je ne doute pas que le succès sera au rendez-vous ! Encore merci pour ce moment.
Merci à toi, c’était un plaisir ! 🙂
2 commentaires
Waouh ! alors, ça y est , tu nous fait partager ce moment. Extra ! Merci les deux J !
ça doit être génial de s’appeler Jean ou Mélanie et de travailler dans la caverne d’alibaba et les 1001 histoires!!!!